
La série Abysses, une coproduction internationale, est l’adaptation d’un roman de Frank Schätzing publié en 2004 qui traite de la révolte de l’océan contre les agressions environnementales causées par l’humanité. La série débute par l’apparition de phénomènes étranges et inquiétants un peu partout sur la planète. Au large du Pérou, un pêcheur est attaqué par un gigantesque banc de poissons. Au large de l’île de Vancouver, une baleine à bosse s’attaque à un bateau de touristes. Elle est accompagnée d’un banc d’orques qui dévorent les passagers tombés à l’eau. En Europe, un restaurateur est contaminé par un virus mortel par un liquide reçu au visage alors qu’il découpait un homard, ce qui provoque la pollution de l’eau et de nombreux décès. Au large de l’Écosse, des blocs d’hydrate de méthane congelé remontent à la surface. Enfin, en Norvège, une nouvelle espèce de vers de glaces géants est découverte. Tous ces phénomènes sont en fait organisés par une intelligence sous-marine qui provoque des tsunamis et menace de contaminer l’eau potable nécessaire à la survie de l’humanité. Les chercheurs pensent que cette créature, qu’ils appellent le Yrr, utilise les êtres vivants de l’océan comme les vers, les homards, les baleines, les orques ou les crabes comme une armée dans le but de déclarer la guerre à l’humanité. Dans le roman, des méduses toxiques empoisonnent les prises des pêcheurs dans tous les océans. Les Yrrs sont des créatures très intelligentes vivant dans les fonds marins et qui sont des agrégats d’unicellulaires. Leur point faible est la sensibilité à la kétamine. D’ailleurs, les membres de l’expédition partie en Arctique pour le traquer décident de lui faire comprendre que l’humanité dispose d’une arme contre lui en injectant la substance dans un Yrr capturé dans leur navire. Cela provoque une réaction très violente de la créature et une révolte de l’océan, qui détruit partiellement le bateau et le coince entre plusieurs icebergs.
Cette fiction a popularisé le thème de la vengeance de la nature, et plus particulièrement des océans, contre l’action polluante des êtres humains. Le savant britannique James Lovelock, théoricien bien connu de l’hypothèse Gaia, a publié en 2006 un ouvrage de vulgarisation intitulé La Revanche de Gaia : Préserver la planète avant qu’elle ne nous détruise. Il explique notamment que la Terre pourrait réagir violemment à la pression anthropique par des phénomènes naturels de grande ampleur. Ce type de croyance dans la capacité de la nature à reprendre le contrôle de la planète et à rappeler à l’humanité sa faiblesse effective fut mise en avant pendant l’épidémie de Covid 19. Certains spécialistes virent dans cette maladie une réaction de la nature visant à détruire l’humanité. Si le constat se révéla heureusement un peu excessif, compte tenu de la résolution de la crise en quelques mois, l’épisode rappela à l’humanité sa fragilité face au pouvoir de la nature, qui pourrait l’anéantir rapidement si les processus extrêmes se déclenchaient. Il convient ainsi de s’interroger sur une éventuelle intelligence de la nature, susceptible de s’attaquer au pouvoir de l’humanité. Dans l’hypothèse Gaia, Lovelock considère la Terre comme un superorganisme constitué de la totalité des éléments de la nature. Le père Teilhard de Chardin ajouta à cette théorie celle de la noosphère, une partie de la Terre constituée par le monde des idées. La somme de ces théories permet de considérer la planète comme un être vivant doté d’intelligence, donc capable d’adapter les écosystèmes afin de gérer une humanité certes intelligente, mais aussi potentiellement néfaste à la survie des autres espèces. Le roman qui a inspiré la série Abysses n’est pas le seul traitant du thème de la révolte de la nature contre l’espèce humaine. Dans Gaia, sorti en 2012, Yannick Monget évoque l’émergence d’une épidémie mortelle en Amazonie, assortie de nombreux cataclysmes naturels, comme un développement exubérant de la végétation et des inondations provoquées par le réchauffement climatique. La nature s’est dans le roman révoltée contre la domination excessive de l’humanité sur la planète.
Le thème de la revanche de la nature est donc un thème qui rencontre un certain succès depuis le début des années 2000 et l’apparition de la fiction climatique. La science-fiction permet de montrer les conséquences potentiellement catastrophiques des actions de l’homme sur la nature. La série Abysses montre d’une façon réaliste des phénomènes apocalyptiques et des catastrophes environnementales visant à détruire la présence de l’Homme sur les océans et sur les côtes. Les tribus et peuplades primitives des espaces et temps reculés croyaient bien souvent dans des dieux protégeant la nature des agressions de l’homme. Il n’était ainsi pas rare de croire à la nécessité de préserver la nature et de respecter les êtres vivants pour se garantir la bienveillance des dieux. Il est probable qu’une série comme Abysses contribue à un retour d’une telle mentalité. La fiction permet en effet la prise de conscience de la puissance du Yrr, une entité présente dans les fonds marins depuis 250 millions d’années et prête à tout pour éradiquer la puissance de nuisance humaine sur l’océan. Une telle série surfe sur la vague écologique, particulièrement populaire en France et dans le monde, à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique. Il est intéressant de noter que la science-fiction participe à la création d’une mythologie des temps modernes, appelant l’humanité à la sagesse et à la retenue face à une nature qui pourrait à tout moment décider de reprendre le contrôle de la planète et de rééquilibrer les forces en présence au détriment des humains.
Thomas Michaud