Jung estime que l’inconscient collectif est prédictif. La récurrence des archétypes renseignerait sur les événements à venir. Dans son autobiographie Jung affirme qu’il aurait anticipé la Seconde Guerre mondiale bien avant qu’elle n’éclate en retrouvant de plus en plus fréquemment dans les rêves de ses patients la figure de Wotan, le dieu scandinave de la guerre. Cette hypothèse pose la question d’un inconscient prophétique. Dès lors, la science-fiction, assimilable à une manifestation de l’inconscient technologique, trouverait l’explication de sa dimension prophétique dans la théorie jungienne. La science-fiction se déroule en effet souvent dans le futur, moment d’invention et de diffusion de technologies révolutionnaires. Il est flagrant de constater que de nombreuses innovations ont réalisé quelques années après la science-fiction, conférant au genre une dimension anticipatrice un peu mystique. Si la science-fiction est la mythologie des sociétés industrielles, elle est aussi l’expression de son inconscient technologique, ce qui expliquerait sa capacité à prévoir et à prophétiser certaines découvertes techniques et scientifiques. Les théories plus rationalistes estiment que la science-fiction se réalise car elle inspire les ingénieurs, férus en grande partie de cet imaginaire. D’autres, considèrent que la science-fiction n’anticipe rien, mais ne fait que traduire sous la forme de métaphores la réalité de la science. Certains, enfin, la considèrent comme un frein à l’innovation dans la mesure où elle ne hisse pas ses individus vers plus de rationalité, mais plutôt vers une imagination infantile néfaste à une maturité psychologique et comportementale. En fonction des cultures, l’imaginaire est plus ou moins stimulé et privilégié. On se rend compte que les pays les plus innovants, comme les États-Unis, le Japon, l’Europe et la Chine laissent une place importante à l’imaginaire, et notamment à la science-fiction. L’Europe de la révolution industrielle a inventé la science-fiction, avant que les Américains la popularisent et la diffusent sur toute la planète comme un élément de soft power faisant la promotion de son système technoéconomique. La Chine, superpuissance émergente, incite le développement de la science-fiction depuis quelques années, ses responsables considérant qu’elle favorise un esprit scientifique et de découverte indispensable à l’économie et à la grandeur du pays. Un véritable foisonnement de concepts science-fictionnels accompagne l’émergence de nouvelles technologies comme Internet, la réalité virtuelle, et l’industrie spatiale. Sans cet imaginaire, le progrès technique serait différent et probablement moins rapide dans la mesure où les mythes sectoriels assurent la fusion des visions stratégiques des chercheurs sur toute la planète, accélérant la R&D au niveau global. Tout système a besoin de visionnaires et de prospectivistes, capables d’anticiper la futur à tort ou à raison. La science-fiction tient de plus en plus ce rôle, participant à la construction d’histoires et d’un storytelling favorables au management de l’innovation.
Prospective et inconscient collectif
La science-fiction est de plus en plus souvent utilisée pour des activités de prospective, mais aussi de gestion de crise, pour envisager les solutions les plus radicales à certaines difficultés, liées à des catastrophes naturelles, des pandémies, ou des guerres. L’activité de prospective cherche à anticiper et a donc recours à des imaginaires, dans le but d’envisager des solutions alternatives et originales, sortant des approches conventionnelles. L’imaginaire peut s’inscrire dans le prolongement immédiat de logiques pragmatiques, mais il peut aussi proposer des ruptures et permettre de s’abstraire du présent pour concevoir des futurs utopiques ou dystopiques, en rupture avec une situation initiale. Lors de l’épidémie de coronavirus, nombre d’acteurs ont réagi en estimant être entrés dans une période de science-fiction, exprimant par là leur sentiment de sidération face à une situation improbable et largement imprévisible. Face à des crises majeures, le refuge dans l’imaginaire est une option qui doit être complémentaire, et non remplacer le pragmatisme. Il doit permettre de réfléchir à de nouvelles approches. De même, l’étude des récits imaginaires relatifs à cette situation dans l’histoire permet de mieux comprendre de quelle manière la notion d’épidémie a été représentée dans les fictions. Les zombies, métaphores des êtres contaminés, sont ainsi au centre d’un courant imaginaire de plus en plus populaire ces dernières années. De nombreuses séries ont mis en scène des monstres créés par des virus très contagieux, comme dans The Walking Dead, ou Z Nation. Les films de virus se sont multipliés lors des dix dernières années, donnant l’impression d’une obsession des populations pour le macabre et les morts-vivants. Si cela pouvait s’expliquer par un malaise civilisationnel générant un imaginaire nocturne, le recul permet d’envisager la science-fiction et les films de virus comme des anticipations, et donc comme une nouvelle preuve de leur dimension prophétique. On pourrait rétorquer à cette impression que les épidémies sont récurrentes et qu’une nouvelle devait fatalement arriver. L’augmentation du nombre de films de zombies et de virus ne pourrait donc être qu’une coïncidence. Toutefois, en s’inscrivant dans une logique jungienne d’un inconscient collectif prophétique, cet indicateur culturel peut être considéré comme un révélateur et un signe annonciateur de cette crise sanitaire mondiale. Cela renforce l’impression de la nécessité de sonder l’imaginaire sérieusement et rationnellement, dans la perspective d’anticiper des cataclysmes annoncés sous une forme métaphorique et fictionnelle, mais toutefois rationnelle. Dans la même veine, le courant de la fiction climatique, qui annonce la disparition de l’humanité sous l’impact du réchauffement climatique doit être étudié avec attention. En effet, les discours des scientifiques appelant à réguler l’émission de gaz à effet de serre sont accompagnés de récits de science-fiction illustrant leurs perspectives les plus sombres, et les challengeant aussi pour produire de nouvelles connaissances. L’inconscient et l’imaginaire collectif sont donc liés, le premier développant des hypothèses et des trajectoires fondamentales que l’imagination, puis l’imaginaire, finissent par conscientiser. De la sorte, des représentations collectives manifestent des désirs et des craintes inconscientes, échos d’une nature humaine de plus en plus oubliée dans les modes de vie des sociétés techniciennes. Le fonctionnement de l’inconscient collectif pose encore des difficultés difficilement analysables par manque de données factuelles. Toutefois, l’imaginaire et l’imagination sont étudiables car les récits sont bel et bien réels. Il s’agit de discours, souvent intégrés dans les approches stratégiques d’organisations qui s’inscrivent de cette manière dans des logiques collectives qu’elles contribuent à conscientiser et à rationaliser.
Les organisations s’inscrivent dans des logiques inconscientes révélées par des mythologies sectorielles. De même, l’inconscient organisationnel peut être à l’origine de comportements et de processus collectifs. Les entreprises et les organisations développent leur propre inconscient qui est lui même connecté à l’inconscient collectif, tout en étant autonome, déterminé par des désirs et craintes spécifiques. Pulsions et névroses sont selon Freud des manifestations de l’inconscient. Elles doivent être gérées par les managers au sein des organisations, qui doivent donc être à l’écoute de l’imaginaire organisationnel, expression de cet inconscient. Pour cela, différentes méthodes sont possibles. Les méthodes de stimulation de la créativité et de l’imaginaire peuvent permettre de structurer l’imagination sous la forme d’un imaginaire révélateur des désirs de l’organisation. Stimuler l’imagination, puis la canaliser et la modéliser sous la forme d’un imaginaire, peut s’avérer crucial pour deux raisons. D’une part, elle permet d’accéder à l’inconscient prophétique contribuant à anticiper les actions et à mettre en place les produits à développer pour assurer le succès de l’organisation. D’autre part, elle contribue à gérer d’éventuelles psychopathologies organisationnelles. Pour mener à bien la prospective dans une entreprise ou une institution, il convient donc de sonder l’imaginaire. La science-fiction en est une dimension incontournable. Le design fiction et le science fiction prototyping sont des exemples de méthodologies développées depuis le milieu des années 2000, dans la lignée du design thinking, particulièrement utiles à une approche imaginative de l’innovation.