Soleil vert, dystopie d’une société cannibale

L’action du film Soleil Vert se déroule en 2022, à New York, alors peuplée de 40 millions d’habitants. Le film commence par quelques images résumant le processus d’industrialisation, menant à la pollution de la planète et à la surpopulation. L’eau est devenue rare, et même l’électricité manque aux quartiers populaires. Les plus riches peuvent profiter de l’eau courante, d’énergie en quantité suffisante, et surtout de nourriture fraiche, de fruits et de légumes naturels, et de la viande, biens extrêmement rares. Le héros du film n’avait jamais mangé de nourriture naturelle avant sa dernière enquête qui l’avait mené sur une scène de crime dans un quartier huppé, dans lequel il avait pu dérober quelques victuailles à partager avec son ami Sol. Les humains se nourrissent pour la plupart de Soleil vert, sorte de biscotte de couleur verte, sans goût, distribuée à la population. Une scène montre aussi une émeute de la faim à la suite d’une pénurie de cette substance. Ces produits de synthèse sont créés par l’entreprise Soylent Industries, qui les commercialise à une grande partie de la planète. L’intrigue repose sur l’assassinat énigmatique d’un certain Simonson, proche de cette multinationale. On apprend qu’il fut tué en raison de sa connaissance de la vérité sur la véritable nature de l’alimentation la plus répandue de la planète. Le Soleil Vert est en effet constitué des corps des cadavres des personnes mortes naturellement ou ayant procédé à une euthanasie. Sol a d’ailleurs choisi cette seconde option après avoir découvert la vérité. Le détective Thorn essaie de clamer cette macabre réalité à la fin du film, mais elle semble si incroyable et improbable, qu’il n’est pas certain qu’il soit entendu.

Ce film a fait preuve d’une vision prophétique sur plusieurs aspects. En 2022, le réchauffement climatique touche la plus grande partie de la planète. Dans le film, il fait 33 degrés en permanence. On parle de plus en plus de rationner l’eau. L’électricité aussi est limitée. En Europe, en raison de la guerre en Ukraine, on parle de rationner l’énergie pendant l’hiver. La population n’en est pas arrivée à pédaler sur un vélo pour alimenter en électricité les ampoules, mais cette vision radicale est bien vue, accentuant une tendance bien réelle. Le système capitaliste repose sur des excès qui ont fini par montrer ses limites. Les écosystèmes souffrent de l’activité du système productif et d’une population toujours plus nombreuse. La nourriture est toutefois toujours abondante. Mais on parle de pénuries de certains produits. Les institutions de l’industrie agroalimentaire alertent sur le risque de ne pas pouvoir alimenter la population en viande bovine dans les prochaines années, par exemple. Le film apparait comme une critique d’un système capitaliste, et plus largement de l’anthropocène, qui tend à cannibaliser les écosystèmes et même l’humanité, poussant le vice jusqu’à se nourrir des cadavres des individus qui le constituaient. Soleil Vert est une dystopie particulièrement virulente, présentant un miroir macabre à une humanité orientée vers son autodestruction en raison de l’instinct prédateur de quelques puissants, incapables de préserver la planète, préférant s’enrichir toujours plus au mépris de la nature. La société est devenue cannibale à force de détruire la nature, créant une forme d’organisation monstrueuse achevant son suicide par la dévoration de ses propres cadavres. Cette dystopie révèle un aspect particulièrement sombre de l’humanité, accentuant à l’extrême des tendances mortifères constituant effectivement des menaces pour la pérennité du système capitaliste. Le film est sorti à la même période que le rapport Meadows, et nous rappelle que les préoccupations écologiques et que les mises en garde sur les risques de destruction de la planète ne datent pas d’aujourd’hui. Déjà, dans les années 1970, on s’inquiétait, souvent dans une perspective malthusienne, de la tendance de l’humanité à se reproduire toujours davantage et à créer les conditions de sa propre disparition. Près de cinquante ans après, il faut constater que si certains points critiques furent bien vus par le réalisateur Richard Fleischer, inspiré par le roman de l’écrivain américain Harry Harrison (1966), la vision dystopique de 2022 dévoile principalement les procédés narratifs de ce genre imaginaire. La dystopie noircit à l’extrême des tendances écologiques, économiques, technologiques ou politiques, pour proposer un récit sur la perdition, voire la disparition de l’humanité, condamnée par le vice inhérent au système technopolitique qu’elle a créé et qui finit par la dépasser et la détruire. La dystopie est un moyen de critique le capitalisme, ou plus largement la mégamachine, ou l’anthropocène, un moyen de remettre en question une humanité qui, si elle continuait sur la voie d’une fuite en avant industrialiste, risquerait de sombrer dans des comportements pathologiques et suicidaires. Ainsi, la dystopie apparait comme le genre mettant en scène l’enfer industriel. Il convient de s’interroger sur l’influence de ces imaginaires sur la mentalité collective. Dans quelle mesure les dystopies alimentent-elles une forme de psychose sociale vis-à-vis de l’avenir, conçu comme principalement négatif, et dans lequel des institutions supérieures contrôlent la population et la mènent vers une forme de perdition ? Dans le film, Thorn découvre que devant la pénurie de plancton, qui constituait le Soleil Vert, on s’apprête à élever des êtres humains pour servir de nourriture. Ainsi, les dystopies créent un imaginaire collectif favorisant l’émergence d’une mentalité relativiste, critique de l’autorité, et potentiellement complotiste. 

Thomas Michaud

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