In: La science-fiction institutionnelle, Thomas Michaud, L’harmattan, 2023
Ce chapitre explore l’intégration de la science-fiction dans le monde de l’entreprise. Il examine comment les entreprises utilisent la science-fiction pour diverses raisons, allant de la médiatisation de nouvelles technologies à la stimulation de l’innovation et à la prospective stratégique. Plusieurs exemples sont donnés pour appuyer ces propos, notamment Microsoft et All Nippon Airways, et leurs approches respectives quant à l’usage de la science-fiction institutionnelle. Les textes analysent la manière dont la science-fiction peut façonner les imaginaires collectifs et les mythes rationnels qui guident le capitalisme technoscientifique. Ils mettent également en lumière des pratiques comme le « design fiction » et le « science fiction prototyping » comme outils de créativité et de prospective.
Thèmes Principaux :
- L’utilisation croissante de la science-fiction (SF) par les entreprises : Le document met en évidence une tendance grandissante des entreprises à utiliser la SF, non seulement pour l’étude de leur environnement et la compréhension des croyances collectives liées à la technoscience, mais aussi pour participer activement à la construction et à l’influence de ces récits. Ceci s’inscrit dans une économie discursive où l’imaginaire véhicule un impact important sur la création des visions du futur des consommateurs.
- Les différentes applications de la SF en entreprise : L’article détaille plusieurs objectifs que les entreprises poursuivent en utilisant la SF :
- Médiatisation de technologies et innovations (campagnes publicitaires, films futuristes).
- Recherche futurologique et prototypage d’inventions commercialisables.
- « Évangélisation » du personnel et du grand public.
- Test des conséquences potentielles de nouveaux produits sur les marchés.
- L’évolution de la SF : L’article note une évolution dans les représentations de la SF. Des visions technophiles et positives du futur du capitalisme (années 1930-60), on observe une tendance croissante aux dystopies depuis les années 2000. Cependant, l’article suggère un processus de réappropriation des représentations science-fictionnelles par le capitalisme, à travers la création d’histoires institutionnelles servant ses intérêts.
- L’importance de la positivité des fictions : Si la création de récits est essentielle, il est crucial pour les entreprises de veiller à ce que ces fictions soient positives et humanistes, en évitant les dimensions dystopiques et critiques. L’objectif est de créer des discours responsables qui incitent à un avenir positif.
- Le rôle de la SF comme métaphore : La SF est présentée comme une forme de « métaphorisation des technosciences » qui extrapole à partir du présent et oriente l’élaboration des innovations. Les métaphores construisent les représentations de la réalité et de la technologie.
- Science-fiction institutionnelle (SFI): le document défini la science-fiction institutionnelle comme un courant où les œuvres sont créées par une entreprise pour servir sa communication et ses intérêts capitalistes. Elle constitue une mythologie assurant la fusion des visions des acteurs du capitalisme.
- Le design fiction et le science fiction prototyping : Le texte aborde l’utilisation de ces pratiques par les entreprises pour créer une mythologie propre à l’organisation. Ce sont des méthodes de créativité qui visent à créer des fictions afin de les intégrer dans les processus d’innovation.
- L’exemple de Microsoft et de son anthologie « Future Visions » : L’entreprise utilise la SF comme un instrument de sa rhétorique auprès du grand public et de la communauté scientifique. Des auteurs sont invités à visiter les laboratoires de la R&D de Microsoft, permettant aux créatifs de mettre leurs services à l’extrapolation de données concrètes. Des exemples de nouvelles de l’anthologie sont analysés, montrant comment elles décrivent la réalité de l’innovation chez Microsoft.
- Le cas d’All Nippon Airways (ANA) et le projet ANA Avatar X Prize : L’entreprise a investi dans des projets SF, notamment un concours de nouvelles sur le futur de la téléprésence. ANA cherche à développer la téléprésence conçue comme le futur des déplacements humains. Les fictions de l’anthologie du concours sont résolument optimistes et contribuent à présenter les recherches d’ANA comme une aubaine pour l’humanité.
- La SF comme mythe rationnel au service de la stratégie organisationnelle : Les entreprises se conforment à des mythes rationnels, c’est-à-dire des croyances collectives, afin d’être légitimes dans l’environnement. La SF constitue une mythologie particulièrement active dans les sociétés technoscientifiques.
- Les limites et les critiques de l’utilisation de la SF par les entreprises : Le document reconnaît que l’utilisation de la SF par les entreprises peut susciter des critiques, notamment de la part de puristes qui y voient une récupération condamnable. De plus, certaines entreprises souhaitent garder secrètes leurs productions fictionnelles, jugées stratégiques.
- L’importance de « management de l’imaginaire » dans l’entreprise: Il faut assurer les conditions favorables à un management de l’imaginaire dans l’entreprise, afin de lui donner toutes les chances de créer des innovations à succès.
Idées et Faits Importants :
- « l’utilisation de la SF en entreprise possède en ce sens une puissance inédite : elle revient à réinjecter une pensée sur les mythes sociaux, « directeurs » et « secondaires » (ainsi que sur leur richesse et leurs variations), qui gouvernent notre imaginaire et, de fait, une pédagogie de la dimension idéologique et éthique dans la réflexion stratégique. »
- « l’imaginaire du capitalisme aurait été récupéré par l’opposition au système pour générer des fictions alimentant la lutte contre les pouvoirs institutionnels et le pouvoir militaro-industriel. »
- « Une entreprise a donc intérêt à créer ses propres récits dans un premier temps pour développer son imaginaire technique, qui pourra initier le processus d’innovation en générant des technologies utopiques. »
- « la science-fiction est un type de métaphorisation des technosciences bien particulier, se situant bien souvent dans le futur et décrivant la réalité à travers des machines extraordinaires en devenir qui ne font finalement que parler des technologies en développement à un moment précis dans les laboratoires. »
- Microsoft, à travers son anthologie « Future Visions », donne « l’occasion à des auteurs de fréquenter les ingénieurs de la R&D de Microsoft [et] conscient de l’intérêt de cette démarche visant à permettre à des créatifs de se mettre au service de l’extrapolation de données concrètes. »
- ANA, par son projet Avatar X Prize, « cherche à développer la téléprésence, conçue comme le futur des déplacements humains. »
- « Les entreprises faisant appel à l’entreprise de design fiction SciFutures requièrent aussi souvent la confidentialité afin de garantir la pertinence de leurs scénarios. »
- « la science-fiction institutionnelle permet de connecter les individus à un système de mythes rationnels qui confère une identité aux consommateurs et une légitimité aux entreprises. »
- « Pour anticiper sur le désir instable du client, il faut, dès le début du processus d’innovation, favoriser le développement de l’imaginaire. » (Musso)
Conclusion :
Le document démontre que la science-fiction est devenue un outil stratégique pour les entreprises, leur permettant de façonner leur image, d’anticiper les tendances futures, de stimuler l’innovation et de créer une adhésion à leurs visions. Cependant, cette utilisation soulève des questions éthiques et nécessite une réflexion approfondie sur la responsabilité des entreprises dans la construction de l’imaginaire collectif.
