In : La science-fiction institutionnelle, Thomas Michaud, L’Harmattan, 2023
L’armée moderne explore la science-fiction pour anticiper les conflits futurs. Les forces militaires, y compris celles de la France, des États-Unis, de l’OTAN et de la Suisse, utilisent des techniques de « science-fiction prototyping » pour imaginer les menaces potentielles et les technologies de demain. Ces initiatives impliquent des auteurs de science-fiction, des prospectivistes et des futurologues. Leur travail vise à stimuler la créativité et à élaborer des scénarios réalistes sur des sujets allant de la cyberguerre à la manipulation de l’information, et à la conception de « soldats augmentés ». Certaines de ces explorations suscitent des débats éthiques sur l’instrumentalisation de l’imaginaire et l’influence militaire sur l’opinion publique. L’objectif global est de préparer les armées aux défis géopolitiques, technologiques et environnementaux à venir.
Le texte analyse comment les armées, notamment aux États-Unis, en France, au sein de l’OTAN et même en Suisse, utilisent la science-fiction pour anticiper les menaces futures, stimuler l’innovation technologique et influencer l’opinion publique.
Thèmes Principaux:
- L’Utilisation de la Science-Fiction pour l’Anticipation des Menaces: Les armées reconnaissent la capacité des auteurs de science-fiction à extrapoler des scénarios réalistes à partir de données partielles et à « faire sauter les barrières mentales » (Red Team en France). L’imprévu est une hantise pour les états-majors militaires, comme le montrent les attentats du 11 septembre 2001. La science-fiction est vue comme un outil pour anticiper des actes de guerre improbables et des dangers inattendus.
- Citation : « Pour anticiper les actes de guerre les plus improbables, les dangers les plus fous, les armées les plus puissantes ont désormais recours à des auteurs de science-fiction. »
- La Science-Fiction Institutionnelle Militaire: L’armée ne se contente pas des œuvres de fiction grand public. Elle crée son propre « imaginaire institutionnel » adapté à ses besoins spécifiques et basé sur des données confidentielles. L’objectif est de concevoir une science-fiction « appliquée aux besoins spécifiques de l’armée », devenant ainsi une nécessité. Cependant, le texte met en garde contre le risque que ces récits « orientent les décideurs vers des visions délirantes » et les éloignent de considérations pragmatiques.
- Citation : « L’armée ne peut pas se contenter des films et romans maintream pour imager le futur du monde. Elle doit créer son propre imaginaire institutionnel… »
- Science Fiction Prototyping (SFP) et Communication Militaire: La méthode SFP, initialement développée par Intel, est utilisée par les armées pour « toucher plus facilement les esprits des soldats, mais aussi du grand public ». Des formats comme les romans graphiques (ex: « Invisible Force ») sont employés pour visualiser les menaces et communiquer sur les stratégies militaires. Le but est de médiatiser des politiques de R&D ou des stratégies militaires.
- Citation : « Ainsi, l’armée américaine utilise cette approche dans le but de toucher plus facilement les esprits des soldats, mais aussi du grand public. »
- Cybermenaces et Guerre de l’Information: L’importance croissante de la guerre de l’information, des fake news et de la manipulation des réseaux sociaux est soulignée. Le contrôle des « storyweapons » (armes narratives) dans le « codespace » (espace du code) est devenu un enjeu géostratégique crucial. Des fictions comme « Invisible Force » illustrent l’impact potentiel du cyberterrorisme et de la cyberguerre, préparant les lecteurs à une nouvelle approche des conflits où l’IA et les logiciels sont des enjeux de domination.
- Citation : « La réalité est de plus en plus construite par des récits viraux diffusés sur Internet, et leur contrôle est une arme géostratégique cruciale pour les armées. »
- La Red Team Française: L’exemple de la Red Team française, composée d’auteurs, de prospectivistes et de futurologues, illustre l’intérêt croissant des armées européennes pour la science-fiction. Leur mission est de développer des scénarios de menaces pour la France à horizon 2030-2060, en considérant les impacts du changement climatique, des progrès technologiques, etc. Cependant, le projet a suscité des critiques, certains acteurs de la science-fiction française craignant une instrumentalisation de leur art par une « machine de guerre. »
- Citation : « Étonnez-nous, bousculez-nous, faites-nous sortir de nos habitudes et de notre confort. Votre mission est sérieuse, précieuse et exigeante. » (Florence Parly à la Red Team)
- Enjeux Éthiques et Propagande: Le texte soulève des questions éthiques concernant l’instrumentalisation de la science-fiction par l’armée. Des fictions comme « Invisible Force » peuvent être perçues comme de la propagande visant à justifier l’implication de l’armée dans la régulation des réseaux sociaux. Il y a un risque que la science-fiction soit détournée de sa dimension distractive pour devenir un élément de stratégie de communication militaire. Des craintes sont émises concernant la militarisation du système narratif et le contrôle de l’opinion publique.
- Citation : « Ainsi se pose la question de l’impact de la bande dessinée Invisible Force sur le grand public. L’armée va-t-elle diffuser de cette manière l’image d’une cybermenace réelle, ou l’exagérer dans le but de justifier un investissement massif dans l’armée dans les prochaines années ? »
- Collaboration entre Armée et Universités: Les armées collaborent avec les universités (ex: Threatcasting Lab de l’université d’Arizona, université PSL en France) pour exploiter leurs talents en matière de prospective et de visions artistiques. L’objectif est de construire des représentations du futur les plus plausibles, en utilisant un imaginaire populaire.
- Citation : « De cette manière, la force et le savoir unissent leurs efforts pour construire les représentations du futur les plus plausibles, en utilisant par ailleurs un imaginaire populaire… »
- Science-Fiction et Design Fiction pour la Prévention des Conflits : Des études montrent que l’utilisation de récits dystopiques peut aider à la prise de conscience et à l’action face à des dangers potentiels. Les visions apocalyptiques ne paralysent pas l’action, mais multiplient les options possibles grâce aux mondes générés par la science-fiction.
- Citation : « les visions apocalyptiques ou dystopiques ne paralysent par l’action, mais plutôt multiplient les options possibles, et ceci se fait grâce aux mondes générés par la science-fiction, où les alternatives et les conséquences qui pourraient être générées par certaines décisions sont décrites. »
Idées Clés:
- La science-fiction est un outil de plus en plus utilisé par les armées pour l’anticipation stratégique, la communication et l’innovation.
- L’instrumentalisation de la science-fiction par l’armée soulève des questions éthiques importantes concernant la propagande, la manipulation de l’opinion publique et l’impact sur la liberté d’expression.
- La collaboration entre les armées et les universités est un phénomène croissant qui favorise l’émergence d’une science-fiction institutionnelle.
- Les cybermenaces et la guerre de l’information sont des thèmes centraux de la science-fiction militaire contemporaine.
- Les récits dystopiques, bien que critiqués par certains, peuvent jouer un rôle positif dans la prévention des conflits en stimulant la prise de conscience et l’action.
En conclusion, le document souligne la complexité de la relation entre la science-fiction et les institutions militaires. Si elle offre des outils précieux pour l’anticipation et l’innovation, elle soulève également des préoccupations éthiques quant à son utilisation potentielle à des fins de propagande et de contrôle de l’information. Il est crucial de rester conscient de ces enjeux pour comprendre l’évolution de la guerre et les défis de la sécurité au XXIe siècle.
