
Le livre Télécommunications et science-fiction s’intéresse au fonctionnement de l’imaginaire des TIC, et plus particulièrement des technologies du virtuel. Le but n’est pas de démontrer qu’il existe un lien de causalité entre la science-fiction et l’innovation, mais de présenter les différentes approches d’un problème complexe qui a suscité de nombreux débats et des positions théoriques différentes, tout en proposant une forme de consensus autour de l’hypothèse d’une influence de la science-fiction sur la réalité, qu’elle soit sociale, politique ou technologique.
Dans une première partie, une chronologie des inventions dans le secteur des télécommunications est proposée. Elle s’attarde plus particulièrement sur les étapes qui ont mené à des innovations importantes dans le secteur de la réalité virtuelle, technologie qui nous intéresse particulièrement dans cet ouvrage. Cette dernière est à l’origine de nombreux fantasmes qui s’expriment abondamment dans la science-fiction. Il était intéressant, en 2008, date de publication du livre, d’effectuer une première cartographie de cet imaginaire et d’envisager une première théorisation de l’utilisation de ces représentations futuristes dans les communautés, de hackers, d’ingénieurs et de chercheurs, dont l’activité se déploie le plus souvent dans des laboratoires ou des centres de R&D.
La réalité virtuelle fait l’objet de nombreux discours dont certains véhiculent une réflexion technopolitique, sur l’utilisation d’une technologie qui s’est développée fortement depuis 2016. Les technologies du virtuel dans les années 2000 étaient dans l’attente d’innovations majeures, et les représentations de la science-fiction, futuristes, étaient parfois critiquées pour leur éloignement des réalités de la technologie, et parfois adulées car elles permettaient d’imaginer le monde dans lequel le virtuel deviendrait impossible à distinguer de la réalité. Une partie est aussi consacrée aux représentations des technologies de télécommunications dans la science-fiction, comme le téléphone portable, les ordinateurs, les réseaux, Internet, l’holographie, le virtuel, les nanotechnologies, etc. au point de mener aux résultats d’une étude quantitative de ces représentations. Un tableau s’intéresse à 8 catégories de technologies futuristes, la domotique, les exosquelettes, l’holographie, le virtuel, les télécommunications, les technologies convergentes, la surveillance ou les techniques spatiales. Le but était de déterminer si elles étaient des fictions avant d’être des innovations, si elles n’ont jamais été réalisées, ou si elles existaient avant les fictions. Cette enquête a été réalisée sur environ 200 technologies utopiques détectées dans la science-fiction. Les résultats de cette étude sont flagrants. Ils montrent la dimension avant-gardiste des technologies utopiques et confirment l’opinion selon laquelle la science-fiction anticipe le futur et constitue un genre utopique et prophétique. Ce constat s’explique par un phénomène d’adhésion des communautés d’ingénieurs aux récits de science-fiction qui deviennent de véritables croyances fédératrices dans les centres de R&D.
La deuxième partie du livre s’intéresse aux représentations de la réalité virtuelle dans la science-fiction, après une évocation de quelques philosophes à l’origine de la réflexion sur le virtuel, comme Platon, Berkeley ou Baudrillard. Une partie est aussi consacrée à l’histoire de l’art virtuel, et à son influence dans l’élaboration des représentations futuristes de la réalité virtuelle. Les œuvres étudiées appartiennent principalement à la science-fiction cyberpunk, dont les plus connues sont Neuromancien, Le Samouraï Virtuel ou Matrix. Les représentations sont ambivalentes. Quelques œuvres moins connues sont aussi présentées, à travers des thèmes comme le remplacement des acteurs humains par les avatars, l’anticipation de la téléprésence, le cybersexe, les craintes de psychopathologies liées à l’utilisation du virtuel, les systèmes de réalité virtuelle créés par l’armée ou des multinationales très puissantes. Les implications théologiques de la science-fiction virtualiste mènent aussi à une approche du courant cyberpunk comme une contreculture innovante. 3 types de mondes virtuels sont détectés. Le premier désigne les mondes virtuels du premier âge, qui doit encore être civilisé par les hackers, comme dans Tron ou Neuromancien. Le second désigne les mondes virtuels immersifs, comme dans Snow Crash. Enfin, dans les mondes virtuels englobant, la distinction entre le réel et le virtuel est impossible, comme dans Matrix.
La troisième partie propose une théorisation des relations entre l’imaginaire et la cyberculture, et l’innovation dans l’industrie de la réalité virtuelle. Différentes théories de l’innovation sont proposées et mises en relation avec les cycles économiques. La science-fiction est notamment conçue comme une mythologie technologique. L’émergence de ces représentations est interrogée à travers l’hypothèse d’un inconscient machinique dans lequel se développeraient ces représentations si utiles à l’innovation. La question des rapports entre l’imagination et la rationalité dans les secteurs de la recherche scientifique est aussi posée. Le concept d’idéologie de la science-fiction est développé et mis en relation avec celui d’utopie du virtuel. L’idéologie de la science-fiction est conçue comme une matrice discursive participant à l’esprit de l’innovation à l’ère du virtuel, de la même manière que l’alchimie était utile aux ingénieurs et inventeurs à la Renaissance.
Ce livre analyse le rôle fondamental et souvent sous-estimé de la science-fiction (SF) comme moteur de l’innovation technologique, en particulier dans les domaines des télécommunications et de la réalité virtuelle (RV). Loin d’être un simple genre de divertissement, la SF fonctionne comme un puissant interacteur cognitif entre l’imaginaire et la technoscience. Elle fournit un corpus de visions, de concepts (le cyberespace, le métavers, l’avatar), de modèles fictionnels et un cadre culturel partagé qui inspirent et orientent les ingénieurs, les chercheurs et les entrepreneurs.
La réalité virtuelle, concept central de cette analyse, est profondément enracinée dans l’imaginaire science-fictionnel, qui en explore le potentiel utopique (émancipation cognitive, immortalité numérique, communication parfaite) tout en mettant en garde contre ses risques dystopiques (aliénation, contrôle total, perte du réel, schizophrénie). La SF agit comme un laboratoire d’expérimentation pour les technologies émergentes, façonnant non seulement leur conception technique mais aussi leur acceptation sociale en préparant l’imaginaire collectif aux mutations à venir.
Des entreprises et des institutions de premier plan, de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) aux laboratoires de R&D des géants des télécommunications, s’appuient explicitement ou implicitement sur ce corpus pour définir des objectifs, stimuler la créativité et légitimer des projets d’innovation. Le courant cyberpunk, en particulier, a cristallisé les aspirations d’une génération d’innovateurs dans les années 1980-90, jetant les bases idéologiques du développement d’Internet et des mondes virtuels. En somme, la science-fiction n’est pas seulement un reflet des avancées techniques ; elle est une idéologie active qui participe à la construction du futur technologique.
1. La Réalité Virtuelle : Définitions et Paradigmes
La réalité virtuelle (RV) est un concept polysémique dont la définition varie selon les scientifiques, les philosophes et les auteurs de science-fiction. Au cœur de cette notion se trouve la volonté de simuler un environnement artificiel, permettant une interaction sensorimotrice pour un ou plusieurs utilisateurs.
1.1. Définitions Scientifiques et Idéal-typiques
Plusieurs experts ont proposé des définitions techniques pour encadrer le champ de la RV.
• Jaron Lanier, qui a inventé le terme, considérait la RV comme un moyen d’accéder à un « monde imaginaire » et de construire des simulations pour alimenter l’imaginaire collectif.
• Philippe Fuchs, Bruno Arnaldi et Jean Tisseau proposent une définition idéal-typique qui fait autorité dans la communauté scientifique :
• Denis Berthier propose l’expression « technologie du virtuel », moins restrictive que « réalité virtuelle », pour englober un spectre plus large d’applications, y compris non-immersives. Il définit un monde virtuel comme un monde qui :
1.2. La Distinction entre Virtuel 2D et 3D Immersif
Une distinction fondamentale existe entre les technologies du virtuel :
• Le virtuel bidimensionnel (2D) : Il s’agit de la forme la plus répandue, reposant sur l’extrapolation des possibilités d’Internet et de logiciels permettant de naviguer à travers des flux d’informations et des univers symboliques interactifs. Le Minitel et Internet, selon Jolivalt, s’inscrivent dans cette catégorie.
• La réalité virtuelle tridimensionnelle (3D) immersive : C’est l’idéal-type rêvé par la science-fiction et les ingénieurs les plus utopistes. Elle cherche à introduire l’utilisateur dans un environnement artificiel, à recréer les conditions d’existence et à simuler l’activité sensori-motrice. La tendance actuelle est une tridimensionnalisation progressive du virtuel.
1.3. L’Expérimentation « In Virtuo »
Jean Tisseau a développé le concept d’expérimentation in virtuo pour qualifier la spécificité des recherches en RV. Ce néologisme, construit par analogie avec in vivo et in vitro, met l’accent sur la participation active de l’homme à l’univers de modèles numériques. Contrairement à l’expression in silico (utilisée par les biologistes pour les calculs sur ordinateur), in virtuo souligne la capacité d’interagir avec le système modélisé, comme si l’on disposait d’un « microscope virtuel déplaçable et orientable à volonté ».
1.4. Applications et Domaines d’Usage
Bien qu’initialement considérée comme une technologie trop coûteuse, la RV a connu un développement exponentiel depuis les années 1990 et s’est diffusée dans de nombreux secteurs :
| Domaine | Exemples d’Applications |
| Loisirs | Applications vidéoludiques, jeux en réseau massivement multi-joueurs (MMORPG), sport d’appartement, nouvelle forme de théâtre. |
| Santé | Fins thérapeutiques (cyberpsychologie), diagnostic et visualisation de l’organisme (projet Argonaute 3D), télémédecine. |
| Culture | Musées virtuels. |
| Social | Communautés virtuelles, jeux de rôle en réseau (ex: Habitat, Dark Age of Camelot). |
| Professionnel | Simulateurs (vol, champ de bataille), géosciences, téléconférences, télétravail. |
2. L’Influence de la Science-Fiction sur le Processus d’Innovation
La science-fiction n’est pas un simple genre artistique ; elle est un acteur influent et un composant essentiel, bien que parfois marginalisé, du processus d’innovation technologique.
2.1. La SF comme Source d’Inspiration et Modèle Fictionnel
Les chercheurs et les entreprises s’inspirent activement de la SF pour orienter leurs projets.
• Modèles fictionnels : La SF propose des modèles de technologies utopiques que les innovateurs choisissent ensuite de réaliser en fonction de leurs capacités techniques.
• Croyances communes : Elle érige des croyances partagées par des ingénieurs travaillant sur des projets similaires à travers le monde, créant une vision collective d’un futur technologique à réaliser.
• Légitimation de la recherche : Les œuvres de SF sont souvent citées pour illustrer des hypothèses de travail ou légitimer l’orientation d’une recherche.
Plusieurs exemples concrets illustrent cette influence :
• Robert Heinlein : Son roman Waldo (1942) a directement inspiré Marvin Minsky pour le développement des téléopérateurs.
• William Gibson : Son roman Neuromancien sert de référence aux chercheurs en RV. John Walker, fondateur d’Autodesk, a reconnu avoir bâti son entreprise sur une idée issue de ce livre.
• Neal Stephenson : Le terme « avatar », popularisé dans Le Samouraï Virtuel, est devenu un standard technique.
Brigitte Chamak résume cette relation en affirmant que la démarche « consiste, pour un chercheur, à utiliser l’imagination de romanciers afin de trouver un sujet de recherche et élaborer un modèle du monde à venir qu’il veut contribuer à façonner ».
2.2. La « Technofiction » : L’Usage Stratégique de la SF par les Entreprises
Lorsque la science-fiction est instrumentalisée par une entreprise à des fins d’innovation et de retombées économiques, elle prend la forme de la technofiction.
L’exemple le plus marquant est le projet « Les chroniques de Muxie » lancé par EDF en 1979. Confronté à la difficulté d’élaborer des scénarios sur l’introduction de la télématique, un groupe de travail a créé une entreprise imaginaire, « Electricité de Muxie », pour explorer librement les impacts de cette innovation. Ce récit d’anticipation a permis de mettre en situation des technologies alors en laboratoire, préfigurant avec des décennies d’avance des innovations majeures :
• Le télécran (visiophonie).
• Le télétravail et la téléconférence.
• Le courrier en attente (e-mail).
Les auteurs étaient conscients du potentiel transformateur de leur discours utopique pour diffuser une mentalité innovante au sein de l’entreprise.
2.3. La Popularisation des Technologies et la Création de Marchés
La SF joue un rôle double dans la diffusion des technologies :
1. Elle inspire les concepteurs en amont du processus.
2. Elle sensibilise les consommateurs en aval, créant une attente et un marché.
Depuis les années 1970 et le succès de films comme 2001, l’Odyssée de l’espace, la SF est devenue une culture populaire. Elle a familiarisé le grand public avec des concepts techniques, facilitant leur commercialisation ultérieure. Les entreprises utilisent de plus en plus l’esthétique science-fictionnelle dans leurs publicités (Citroën C4, Siemens, Orange, Nokia) car elle mobilise des archétypes de l’imaginaire technologique déjà assimilés par les consommateurs.
3. Technologies Clés Anticipées et Façonnées par la Science-Fiction
Le corpus de la SF est un catalogue de technologies utopiques dont beaucoup sont devenues des réalités.
3.1. Télécommunications : Visiophonie, Murs-Écrans et Téléphones Portables
• Visiophonie : Cette technologie a été décrite dès la fin du XIXe siècle par des auteurs français comme Albert Robida (téléphonoscope) et Didier De Chousy (téléchromophotophonotétroscope), près d’un siècle avant sa commercialisation.
• Murs-Écrans : Popularisés par les télécrans de 1984 de George Orwell, ils ont évolué dans la SF, passant d’outils de contrôle totalitaire à des moyens de communication optimisés, préfigurant l’écranisation de l’espace domestique (écrans plats, home cinéma).
• Téléphones Portables : Bien que des dispositifs de communication mobile existaient depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est la série Star Trek (années 1960) qui a popularisé l’idée d’un téléphone portable civil avec son communicateur. Les designers de Palm se sont d’ailleurs inspirés de l’esthétique de la série.
3.2. Réseaux Informatiques : Du Cyberespace au Métavers
• Anticipation précoce : Sur l’onde de choc (1975) de John Brunner est considéré comme l’anticipation la plus réaliste d’Internet, décrivant un réseau informatique national détenant toutes les données sur les citoyens.
• Le Cyberespace : Le terme, inventé par William Gibson dans Neuromancien (1983), décrit une « hallucination consensuelle » représentant les données informatiques. Ce concept a défini l’imaginaire d’Internet pour toute une génération.
• Le Métavers : Dans Le Samouraï Virtuel (1992), Neal Stephenson donne une forme urbaine et accessible au concept de cyberespace. Son Métavers est une ville virtuelle tridimensionnelle où les utilisateurs interagissent via des avatars, préfigurant des plateformes comme Second Life.
3.3. Systèmes Immersifs : L’Holodeck et la Cité des Permutants
• L’Holodeck (Star Trek) : Simulateur holographique qui recrée des environnements avec un réalisme total grâce à la combinaison d’hologrammes et de « réplicateurs » (convertisseurs énergie/matière). Il représente un horizon conceptuel pour la R&D en RV, comme le confirme le futurologue de BT, Ian Pearson.
• La Cité des Permutants (Greg Egan) : Ce roman explore l’idée de télécharger la conscience humaine dans un ordinateur pour atteindre l’immortalité. Il décrit le Cosmoplexe, un univers virtuel auto-suffisant avec ses propres lois physiques, où une vie artificielle peut évoluer, posant des questions métaphysiques sur la nature de la réalité.
3.4. Contrôle et Identité : La Biométrie et les Technologies de Surveillance
• Biométrie : La SF a popularisé la biométrie (reconnaissance vocale dans 2001, lecture oculaire dans Blade Runner, scan rétinien dans Minority Report, tests ADN dans Bienvenue à Gattaca) bien avant son déploiement à grande échelle. Elle a normalisé ces technologies dans l’imaginaire collectif tout en explorant leur dualité : outil de sécurité performant versus instrument de contrôle potentiellement liberticide.
• Surveillance : Les technologies de surveillance sont omniprésentes, depuis le panoptisme des télécrans de 1984 jusqu’aux réseaux de caméras modernes. La SF a exploré le passage du panoptisme (surveillance centralisée) à l’holoptisme (capacité de chaque membre d’un réseau de voir le tout), un concept théorisé dans le contexte des technologies peer-to-peer.
4. Cadres Philosophiques et Sociologiques des Mondes Virtuels
L’émergence des technologies du virtuel s’inscrit dans des débats philosophiques, psychologiques et sociologiques profonds, que la science-fiction met en scène et interroge.
4.1. Racines Philosophiques
Les mondes virtuels réactualisent des questionnements philosophiques ancestraux sur la nature de la réalité.
• Platon et l’Allégorie de la caverne : Cette fable est une influence directe et reconnue du film Matrix. Les prisonniers enchaînés voyant des ombres sont les humains connectés à la matrice ; le prisonnier qui s’échappe et découvre le monde réel est Néo.
• Berkeley et l’immatérialisme : La philosophie de George Berkeley, qui nie l’existence de la matière en dehors des perceptions de l’esprit, trouve un écho dans les fictions où l’univers entier pourrait être une simulation.
• Baudrillard et l’Hyperréalité : Jean Baudrillard, dans Simulacres et Simulation, théorise un monde où la simulation précède et engendre le réel. Le simulacre (une copie sans original) devient l’hyperréalité. La SF cyberpunk illustre parfaitement ce « désert du réel » où les modèles informatiques gouvernent l’existence.
4.2. Enjeux Psychologiques et Sociaux
L’immersion dans les mondes virtuels soulève des questions cruciales sur la santé mentale et le lien social.
| Aspect Positif / Utopique | Aspect Négatif / Dystopique |
| Thérapie : Utilisation de la RV pour traiter des pathologies (phobies, névroses). La cyberpsychologie vise à guérir par le virtuel. | Pathologies : Risques de cyberdépendance, de schizophrénie, de comportements autistiques ou violents (critique des jeux vidéo). |
| Émancipation : Le PC comme « LSD électronique » (Timothy Leary), un outil pour libérer l’esprit et explorer de nouvelles réalités. | Aliénation : Le « tautisme » (Lucien Sfez), une nouvelle forme d’autisme social lié à l’enfermement dans les systèmes de communication. |
| Créativité : La RV comme espace d’expression artistique (projet Osmose de Charlotte Davies) et de libération des névroses. | Déréalisation : Perte de la distinction entre le réel et le virtuel, rendant les individus inadaptés au monde physique. |
4.3. L’Innovation comme Processus Social et Économique
L’analyse de l’innovation montre que des facteurs immatériels comme l’imaginaire et la croyance sont essentiels.
• Théories économiques : De Schumpeter (la « destruction créatrice ») aux cycles de Kondratiev, l’innovation est vue comme le moteur de l’économie. La SF anticipe souvent les « paradigmes techno-économiques » qui définissent ces cycles (ex: le cyberpunk a anticipé le cycle de l’informatique et d’Internet).
• Sociologie de l’innovation : Des auteurs comme Bruno Latour et Michel Callon montrent que l’innovation est un processus de « traduction » et de construction de réseaux. Pour qu’une innovation réussisse, une croyance partagée dans son potentiel est nécessaire afin de mobiliser les acteurs. La SF est un puissant vecteur de ces croyances.
• Psychologie de la créativité : L’imaginaire et le « délire logique » (Boris Cyrulnik) sont au cœur de la découverte. La SF constitue une « matrice discursive délirante » qui pousse les sociétés à sortir du sillon pour inventer.
5. La Science-Fiction comme Idéologie et Mythologie Technologique
Au-delà de son rôle d’inspiration, la SF fonctionne comme une véritable idéologie qui façonne la vision du monde et légitime les projets technologiques.
5.1. L’Inconscient Technologique et Machinique
• L’inconscient machinique (Deleuze) : Il existe un inconscient peuplé non pas de mythes familiaux mais de « machines désirantes ». La SF agit comme un révélateur de cet inconscient, traduisant des concepts technologiques latents en récits et en images.
• L’esprit collectif (Halbwachs) : La pensée collective génère des « représentations collectives » qui orientent l’évolution de la société. Les fictions de la SF sont des manifestations de cet esprit collectif, définissant des buts pour la communauté scientifique. L’innovation est ainsi préconçue dans l’esprit collectif avant d’être réalisée.
5.2. Le Mouvement Cyberpunk comme Idéologie Fondatrice
Le cyberpunk, apparu dans les années 1980, a été plus qu’un simple courant littéraire.
• Synthèse culturelle : Il a synthétisé les angoisses et les espoirs liés à l’informatisation de la société, à la globalisation et au pouvoir des multinationales.
• Mythologie du hacker : Il a créé la figure mythique du « cow-boy du cyberespace », un héros explorant les nouvelles frontières numériques.
• Utopie de la virtualisation : Il a promu une vision où la fuite dans le virtuel est un salut face à un « désert du réel », un exode vers une conscience globale et désincarnée.
5.3. Le Débat Technopolitique : Extropiens contre Néo-Luddites
L’idéologie de la SF alimente un débat politique central sur le futur de l’humanité.
• Les Extropiens et Transhumanistes : Influencés par la SF, ils promeuvent l’amélioration de la condition humaine par la technologie (longévité, intelligence augmentée, post-humanité). Ils voient la SF comme un programme à réaliser.
• Les Néo-Luddites : Héritiers des destructeurs de machines du XIXe siècle, ils s’opposent à l’innovation technologique qu’ils jugent déshumanisante et écologiquement dangereuse. Ils rejettent les discours de la SF.
Ce débat montre que la SF n’est pas neutre : elle est un champ de bataille idéologique où se définissent les futurs possibles de la société.