
Terminator : Dark Fate, États-Unis, 2019
Terminator 6 est le dernier opus de la saga, sorti en 2019. Il est la suite directe de Terminator 2 : Le Jugement dernier. Bien que constituant un échec commercial, ce film réactive la mythologie de l’apocalypse cybernétique et complexifie encore un peu plus une histoire débutée dans les années 1980 et devenue une référence dans l’imaginaire technoscientifique global.
En 1998, trois ans après que Sarah Connor a réussi à sauver son fils et à détruire la menace Skynet, John est assassiné par un T800 envoyé du futur. En 2020, un autre Terminator, un Rev-9 est envoyé à Mexico pour assassiner Daniella Ramos, qui est censée donner naissance à un nouveau chef de la résistance humaine contre une nouvelle menace robotique. En effet, l’armée américaine a créé une IA nomme Légion pour mener une cyberguerre. Toutefois, elle a pris le contrôle de tous les serveurs de la planète, constituant une menace majeure pour l’humanité, qui tente de la neutraliser à l’aide de bombes nucléaires, provoquant l’apocalypse. Par la suite, Légion développe un réseau mondial de machines dans le but d’exterminer les survivants humains. Pour sauver Dani, une résistante humaine augmentée cybernétiquement, est envoyée en 2020 et met tout en œuvre pour détruire la menace. Sarah Connor et le T800 qui a tué son fils, incarné par un Schwarzenegger repenti, l’aide dans ce dur combat contre une machine constituée de métal liquide polymorphe et quasiment indestructible.
Ce film reproduit le même scénario du premier opus de la saga, puisqu’une humaine venue du futur doit sauver la génitrice du leader de la rébellion d’un Terminator aux instincts criminels redoutables.
Terminator est une sorte d’ange exterminateur, ce personnage de la Bible que Dieu interrompt dans sa folie destructrice avant qu’il ne répande le fléau dans Jérusalem. La saga est une réactualisation des thèmes de l’apocalypse biblique. La fin des temps est causée par l’intelligence artificielle, présentée comme une menace à l’avenir, qui aurait échappé au contrôle des humains, ses créateurs. Terminator est un mythe contemporain, avertissant des dangers relatifs à l’aveuglement techniciste. Une foi trop importante dans la technologie pourrait mener l’humanité à sa perte, et à sa destruction. En effet, dans le futur, la civilisation est intégralement détruite. Les survivants errent dans les ruines à la recherche de nourriture, affamés et crasseux, réduits à l’état de vagabonds désorganisés. L’anarchie règne dans ce futur, et il faut l’émergence de chefs charismatiques pour s’opposer au règne des machines, qui mettent tout en œuvre pour traquer et exterminer les survivants, assimilés à de vulgaires parasites. La déchéance de l’humanité est présentée comme une malédiction, voire une punition divine, en raison de son obstination à créer des armes sans cesse plus sophistiquées, témoignages de l’ultraviolence animant l’espèce depuis la nuit des temps. L’image d’une humanité anéantie par sa création technologique est donc un mythe alimentant une certaine peur de la machine dans nos sociétés. Le mythe a en effet pour fonction d’apporter une certaine sagesse à ceux qui y croient, de susciter une prise de conscience sur les portées potentiellement mortifères, néfastes, des actions humaines dont certaines défient le pouvoir de Dieu. Ainsi, l’apocalypse dans Terminator renvoie au pouvoir de deux technologies ambivalentes, suscitant une fascination et des craintes souvent passionnées. La bombe nucléaire et l’intelligence artificielle sont en effet produites par le génie humain, mais finissent par causer sa destruction.
La science-fiction constitue ainsi une mythologie de l’ère technoscientifique dans laquelle la saga Terminator joue un rôle important. Cette histoire est en effet devenue un mythe du secteur de l’intelligence artificielle. Bon nombre de publications scientifiques citent la saga en référence pour évoquer le futur de cette technologie. Colin Garvey nomme même Syndrome Terminator le climat généré par cette fiction générant une défiance vis-à-vis de cette technologie avant même qu’elle ne soit développée[1]. En effet, il est fort probable que Terminator ait alimenté le discours technophobe, hostile au progrès technique, depuis une quarantaine d’années, générant une forme d’hostilité irrationnelle à l’encontre de l’intelligence artificielle. Toutefois, le syndrome Terminator n’a pas suffi à empêcher, ou pour reprendre la terminologie de Garvey, à terminer l’innovation dans ce secteur. Les chercheurs agissent comme s’ils avaient une marge de manœuvre importante avant que ne se réalise une apocalypse qu’ils seront capables d’éviter dans la mesure où ils sont prévenus à l’avance des conséquences potentiellement désastreuses d’un excès de pouvoir conféré aux intelligences artificielles. Ainsi, le mythe n’apparait pas uniquement comme un discours critique, visant à limiter l’innovation. Il sert de garde-fou, en exposant les folies et extrémités potentielles liées à un développement immodéré d’une technologie. Le mythe Terminator est avant tout le récit d’une fin des temps causée par la technologie. S’inscrivant dans la logique d’une science-fiction chargée d’une négativité critique évoquée par le théoricien Fredric Jameson, cette histoire a contribué à alimenter une certaine technophobie, montrant l’intelligence artificielle sous un angle destructeur. Il convient dès lors de ce demander ce qui pousse certains esprits à imaginer les pires applications possibles d’une technologie, et surtout, ce qui incite des millions d’autres à croire à ces histoires et à craindre le développement de machines hostiles à l’humanité.
[1] Garvey Colin, « Hypothesis: Is ‘‘Terminator Syndrome’’ a Barrier to Democratizing Artificial Intelligence and Public Engagement in Digital Health? », OMICS A Journal of Integrative Biology, Volume 23, Number 7, 2019
Thomas Michaud