Spoiler et les cryoprisons spatiales

Spoiler, États-Unis, 1997

Le film Spoiler raconte l’histoire de Roger Mason, un homme accusé à tort d’un crime qu’il n’a pas commis. Il se trouvait en effet dans un magasin au moment d’un hold up et fut accusé d’y avoir participé. Père d’une fille en bas page, il est envoyé dans une prison de haute sécurité sur la planète Omega. Cette planète prison accueille des détenus qui sont cryogénisés. Une technologie permet en effet de placer les prisonniers dans des conditions carcérales dans lesquelles ils ne vieillissent pas pendant la période de leur peine. Ainsi, Roger Mason était condamné à un an de prison initialement, mais il s’est évadé, et fut condamné à 25 ans de cryogénie. À son réveil, ses parents sont décédés, sa femme est souffrante, et il n’aspire qu’à revoir sa fille. Décidant de s’évader à nouveau, il se fait rattraper encore une fois par les forces de l’ordre, qui lui font subir de nombreuses violences. Mason est le roi de l’évasion. Il s’enfuit à plusieurs reprises, est à chaque fois condamné à des peines de cryogénie toujours plus longues. Il finit par réussir à rejoindre la Terre et à se rendre à Seattle, pour y retrouver sa fille. Il trouve cette dernière âgée de 80 ans, sur son lit de mort, alors qu’il a la même apparence physique que lorsqu’il l’avait quittée quand elle était enfant. Satisfait d’avoir pu voir sa fille avant sa mort, il n’a plus aucun sens à sa vie et alors que la police le rattrape une nouvelle fois, il ne trouve plus aucun sens à l’existence et décide de s’enfuir, se sachant condamné, les policiers ouvrant le feu et l’abattant.

Ce film montre un système carcéral implacable, ne laissant aucune chance au prisonnier, refusant la révision de son procès. L’homme est systématiquement rattrapé par son destin tragique, celui d’un être privé de liberté et de sa vie de famille en raison d’une erreur judiciaire. Il ne se résout toutefois pas à son sinistre sort et s’évade à de multiples reprises, motivé par l’instinct paternel de revoir sa fille. Mais le système est plus fort que lui, et la société ne lui offre aucun répit. Dans les transports en commun du futur, un badge de reconnaissance numérique est nécessaire, la police vérifiant systématiquement l’identité des passagers. Mason se fait donc rattraper à chaque fois. Notons aussi que dans ce futur, le tabac a été interdit. Toutefois, les juges, policiers, et prisonniers consomment du hashish à la place. Lorsque Mason raconte son histoire à une famille qui l’hébergeait, il est dénoncé. D’autres fois, des chasseurs de primes transmettent son signalement aux autorités. Le film montre un futur dans lequel la société est hyperpolicée et dans laquelle il est impossible de clamer son innocence. Une mère de famille affirme même que « le diable ne rentre que chez ceux qui l’ont invité », suggérant que Mason devait certainement mériter son sinistre sort, malgré sa tendance à clamer l’injustice qui le poursuit. Mason fait figure de modèle pour les autres prisonniers, qui voient en lui un héros, osant défier l’autorité, bien que systématiquement repris et condamné. Spoiler est une nouvelle fois un film louant l’anarchisme d’un homme qui s’oppose à un système carcéral fondamentalement injuste et inhumain. La science-fiction met souvent en scène des personnages s’opposant aux sociétés de contrôle, cultivant un réflexe de critique des pouvoirs institutionnels dont les mécanismes peuvent mener à broyer les individus. La quête de Mason est toutefois satisfaite à la fin du film, car il peut revoir sa fille. Mais cette destinée est tragique et contraire à l’ordre naturel. L’homme trouve sa progéniture à l’apparence physique plus âgée que lui, mourante. Ce film montre l’implacable domination du système carcéral et la quête de liberté permanente d’un détenu.

La cryogénie est la technologie imaginaire du récit. Dans ce film, elle est utilisée dans le but d’assurer une incarcération douce des détenus. En effet, ils ne vieillissent pas pendant leur peine, mais leurs proches ne sont pas dans le même cas et décèdent bien souvent pendant leur hibernation. Le film fait aussi penser à Demolition Man, réalisé en 1993 dans lequel le thème de la cryogénie carcérale était abordé. Dans Fortress, réalisé aussi en 1993, une prison se trouve aussi dans l’espace. Spoiler reprend donc des sujets déjà abordés un peu plus tôt dans l’histoire. Les thèmes de la cryo-prison et celui de la prison extraterrestre sont deux archétypes imaginaires visant à présenter un futur du système carcéral particulièrement redoutable. Ces deux imaginaires proposent une représentation d’une prison inviolable, de laquelle il est impossible de s’évader, dans le cas de la prison extraterrestre. Le but est de proposer un climat particulièrement anxiogène, ne laissant aucune chance aux personnages, condamnés à vivre dans un enfer pour purger leur peine envers la société. Il est possible qu’à l’avenir, des prisons soient construites dans l’espace, notamment pour punir les individus ayant commis des crimes dans des colonies spatiales, martiennes ou lunaires par exemple. L’idée d’y envoyer des criminels terrestres serait viable si ces derniers étaient incompatibles avec une détention sur Terre. Le motif de la cryo-prison est aussi intéressant, car il permet aux détenus de purger leur peine sans vieillir. Le concept est toutefois un peu surprenant, car quel serait l’intérêt d’une telle technologie, les criminels passant leur peine à dormir plutôt qu’à réfléchir et à se remettre en question dans la perspective de devenir des êtres meilleurs susceptibles d’être réinsérés dans la société ?

Ce film permet une réflexion sur les prisons du futur. L’antithèse de la cryo-prison est probablement la prison virtuelle. Celle-ci consiste à donner la sensation de vivre jusqu’à plusieurs milliers d’années d’emprisonnement au condamné, éventuellement en lui provoquant d’atroces souffrances, en un temps réduit, de quelques jours par exemple. De la sorte, l’individu subit une forte pression psychologique, et probablement un vieillissement considérable de son esprit, alors que son corps ne change pas.

La science-fiction est un laboratoire d’idées particulièrement infernales, montrant fréquemment la lutte d’un individu contre un système de contrôle, souvent technologique, contraire à l’humanité. Elle révèle les angoisses et les visions de l’avenir d’une société, ce qui témoigne bien souvent du niveau d’aliénation et de répression de sa population.

Thomas Michaud