
Flying Virus, États-Unis, Brésil, 2001
Le film Flying Virus sorti en 2001 aborde la question des abeilles tueuses. Une tribu amazonienne se révolte contre les ambitions d’une entreprise américaine qui souhaite exploiter les ressources pétrolières de la forêt au mépris du respect des équilibres naturels et humains. Après une attaque meurtrière contre les installations d’une compagnie extractrice, il est décidé d’utiliser des abeilles génétiquement modifiées pour décimer la population d’Indiens. En effet, les insectes sont programmés pour vivre seulement dix jours et pour diffuser un virus mortel. Par exemple, une tribu de 37 personnes décède après le passage d’un essaim. Une journaliste, qui découvre cette pratique illégale, est victime d’une tentative d’assassinat. Des mercenaires lui tirent dessus, mais ses blessures guérissent miraculeusement après qu’un homme nommé Sauveur, un chaman, l’a pris en charge. Le médecin de l’hôpital qui l’a recueilli pense que les abeilles sont la cause de cette guérison et il décide de voler une caisse contenant les insectes pour la ramener à New York afin d’en tirer un bénéfice financier. Mais dans le vol, les abeilles s’échappent de leur boite et attaquent les passagers. Ces derniers sont victimes de terribles souffrances et un bon nombre succombe à ses piqures. Sauveur a toutefois développé un antidote au virus diffusé par les abeilles à partir de la bile de grenouille utilisée par les Indiens sur leurs flèches de combat. L’avion se pose en catastrophe et les passagers sont sauvés par l’antidote après que les abeilles ont été évacuées en haute altitude.
Le film pose la question de l’utilisation des insectes comme vecteurs de maladies, et éventuellement comme armes. Des armées développent-elles de tels systèmes létaux, dans le but de nuire à leurs ennemis ? Si aucun programme militaire officiel n’affirme développer de tels insectes, le DARPA américain a lancé un programme de 45 millions de dollars dans le domaine de l’agriculture baptisé « Insect Allies » en 2016. Le but était de protéger les cultures agricoles de maladies, de sécheresses, de parasites ou d’attaques. Une armée d’insectes transporteurs de virus génétiquement modifiés modifie les plantes. Des chercheurs du Max Planck Institute, de l’université de droit de Fribourg et de l’université de Montpellier ont critiqué cette initiative en affirmant qu’il pourrait s’agir d’une violation de la Convention sur les armes biologiques. En 2017, la filiale de Google Verily avait déjà lâché 20 millions de moustiques génétiquement modifiés pour lutter contre le virus Zika. Les chercheurs opposés à ce projet craignent que les maladies diffusées par les insectes provoquent des épidémies incontrôlables ou une modification irréversible des écosystèmes.
Notons que le film Flying Virus s’appuie sur le concept d’insecte génétiquement modifié (IGM) apparu dans les années 1980. Les premières expériences consistaient à produire des souches de moustiques génétiquement modifiés pour lutter contre la propagation de maladies telles que le paludisme et la dengue. Les premiers essais sur le terrain ont été menés en 2009 aux iles Caïmans et en Malaisie. Les programmes IGM sont encadrés par des protocoles éthiques afin d’éviter des expérimentations hasardeuses pouvant mener à des catastrophes.
Il n’en reste pas moins que le film Flying Virus envisage une application criminelle de cette pratique et extrapole les conséquences dramatiques, exagérément négatives, d’une telle technologie animale. Comme souvent, un film de science-fiction développe la vision d’une instrumentalisation contraire à l’éthique d’une innovation scientifique. La manipulation génétique des insectes, développée initialement dans un but louable, la protection des cultures, fait donc l’objet d’un imaginaire horrifique. L’appareil répressif des multinationales pétrolières est présenté comme dénué de toute éthique, prêt à tous les crimes pour exploiter les gisements de la forêt amazonienne. Il est vrai que la manipulation des abeilles pour exterminer les Indiens apparait comme une solution ingénieuse, mais émergeant de l’esprit d’un génie du Mal.
Notons toutefois qu’en 2023, la Red Team de l’armée française, cellule d’auteurs de science-fiction chargée d’imaginer des histoires sur les conflits à venir, a développé le scénario de guerre écosystémique, envisageant la possibilité de hacker la nature en créant de nouveaux pathogènes, comme des insectes tueurs. Les innovations dans le secteur de la manipulation génétique font penser les auteurs de cette spéculation qu’à l’avenir, les écosystèmes pourraient échapper à tout contrôle s’ils étaient modifiés par les militaires. Le scénario évoque notamment les mouches hématophages.
Un film comme Flying Virus a peut être été à l’origine une réflexion exagérément critique, voire paranoïaque, d’acteurs hostiles aux manipulations génétiques d’insectes. Il a donc pu nuire à ces recherches en alimentant un discours contestataire en représentations de leur utilisation immorale. D’un côté, il a pu donner des idées à des armées en quête de nouvelles armes et inspirer des chercheurs en biotechnologies militaires. D’un autre, il a pu ralentir le processus de R&D dans le secteur des insectes génétiquement modifiés en générant une peur excessive que ces investigations mènent à de nouvelles menaces pour la santé des citoyens. Cet imaginaire génère de nouvelles phobies sociales à l’encontre de la R&D et peut être qualifié d’archétype technophobe. Il n’en demeure pas moins aussi l’avant-garde d’applications militaires et peut inspirer la réflexion prospective d’acteurs militaires à la recherche d’armes de plus en plus efficaces.
Thomas Michaud