
Godless, 2017
Le film Godless, sorti en 2017, se déroule en 2049. Il met en scène un groupe de jeunes gens appartenant à une élite scolaire visant à sélectionner les individus susceptibles de diriger la société. Pour cela, ils sont envoyés dans un camp de montagne dans le but de tester leurs aptitudes physiques et psychologiques. Le jeune Zach, particulièrement sensible à l’injustice, a perdu son père qui s’est suicidé. Il tient à un journal pour résoudre ses problèmes psychologiques, bien qu’une psychologue ait déconseillé cette pratique, préférant les traitements chimiques à ce type de thérapie. Il fait équipe avec une autre étudiante, qui est toutefois indiscrète et qui surprend sa relation avec Eva, appartenant à une caste inférieure, les omégas, qui pénètrent sur le territoire des Alphas pour voler. Zach et Nadesh se disputent à propos du vol du journal, et le corps de Nadesh est retrouvé. Eva est accusée, mais Zach se dénonce par amour. En fait, il est prouvé que le coupable est le vainqueur de la compétition scolaire, qui a de cette manière éliminé ses principaux concurrents.
Le film est une adaptation futuriste du livre devenu un classique de la littérature autrichienne Jeunesse sans dieu, d’Odon Von Horvath, publié en 1937 et placé sur la liste des auteurs interdits par le régime nazi en 1938. La société du film est très hiérarchisée et la sélection est darwinienne pour désigner les dirigeants de la société. Les sentiments sont proscrits, et les pulsions sont sévèrement réprimées par des psychologues, qui prescrivent des cachets aux moindres contrevenants. Zach se révolte contre cette société hypocrite et n’aspire qu’à la quitter pour aller vivre avec Eva, la marginale, dont il est tombé amoureux. Il appartient pourtant à une classe privilégiée, son père étant chef d’entreprise avant son suicide, et il dispose de toutes les qualités pour devenir un des chefs de la société. Mais il est aussi doté d’une mentalité rétive à l’autorité de ce système dystopique et déshumanisant. Les élèves sont équipés d’une puce sous-cutanée visant à les géolocaliser à tout moment. La société du futur n’est toutefois pas caractérisée par un sur déploiement de technologies. On remarque à la fin du film un champ d’éoliennes, suggérant qu’en 2049, cette source d’énergie est devenue centrale.
Le film appartenant à la catégorie young adult s’inscrit dans la lignée de dystopies comme Hunger Game,Divergentes ou Le labyrinthe. Il vise à critiquer une société déshumanisante, le pouvoir cynique d’une élite prête à tout pour obtenir la reproduction de son ordre moral en poussant les adolescents à renoncer à leur liberté de pensée et à leurs sentiments pour prouver leur valeur à des professeurs au service du système hiérarchique. Les élèves sont en compétition et font fréquemment preuve de vilénie, prêts à trahir leurs camarades pour gagner les points nécessaires à leur promotion sociale. Ainsi, le vainqueur de la compétition scolaire est un psychopathe et un criminel, comme pour montrer que le système institutionnel tend à privilégier ce type de personnalités individualistes et déshumanisées. Le film véhicule donc un message subversif, incitant les spectateurs, en l’occurrence de jeunes adultes en priorité, à remettre en question la viabilité du système scolaire et d’une société darwinienne qui n’hésite pas à exclure les plus pauvres ou les personnes différentes, en l’occurrence un jeune en surpoids, pour sélectionner les plus forts et les placer aux postes à responsabilité.
Le film réutilise quelques idées du roman de von Horvath, mais prend quand même de nombreuses libertés avec le scénario. Anne Besson a expliqué dans son livre Le pouvoir de l’enchantement que les dystopies de ce type ont pour fonction d’éveiller le sens critique du jeune lecteur et de l’inciter à lutter contre l’autoritarisme et la tendance au totalitarisme politique. Ce n’est ainsi pas un hasard si Godless trouve son origine dans un roman désigné comme dangereux par le pouvoir hitlérien. Le livre d’Horvath dénonçait déjà le racisme de la société austro-hongroise des années 1930 et constituait une provocation à remettre en question les cadres idéologiques légitimant le régime nazi. 80 ans plus tard, Godless invite à remettre en question un pouvoir totalitaire, d’une société fictive. Il s’agit aussi d’un questionnement du bien fondé du darwinisme du système pédagogique, qui n’hésite pas à déshumaniser la jeunesse et à la pousser au vice en justifiant son approche par la nécessité de sélectionner les meilleurs. Le film montre une société dystopique, et la référence à Horvath incite le spectateur à se remémorer que l’archétype d’une telle société fictionnelle est le totalitarisme nazi. D’ailleurs, les premières dystopies sont apparues dans les années 1930 et 1940 pour dénoncer le pouvoir politique excessif de sociétés niant les libertés individuelles. Il existe une similitude entre la société nazie et la société fictive du film Godless. Dans le roman d’Horvath, la jeunesse a renoncé à la religion pour adhérer aux grandes idéologies politiques comme le nazisme et a reporté sa foi sur la science et la technologie. Dans la société futuriste de 2049, il n’est pas non plus question de religion, mais d’obéissance à un système probablement technocratique. Le jeune Zach cherche un sens à sa vie, et doit choisir entre l’hédonisme et l’amour d’un côté, et l’ordre et l’autorité du système hiérarchique de l’autre. La société de Godless n’est toutefois pas si dystopique que cela dans la mesure où la vérité finit par triompher quand le coupable du meurtre avoue son forfait à son professeur et finit par se suicider, ce qui permet la libération d’Eva, qui cherche alors avec Zach un endroit pour vivre leur amour d’apparence impossible.
Thomas Michaud